LE MAIRE DE BELGES maistre Jean, Les Illustrations de Gaule et singularitez de Troye. Avec la Couronne Margaritique et plusieurs autres œuvres de luy non jamais encore imprimees. Le tout reveu & fidelement restitué par maistre Antoine du Moulin Masconnois, Valet de chambre de la Royne de Navarre – Lyon, Jean de Tournes, 1549 – In-fol., français – Reliure en veau brun-noir (restaurée) à fleuron central doré sur chaque plat – Ce volume contient, outre Les illustrations (423 p.) et La Couronne (72 p.), Les trois Contes intitulés de Cupido et d’Atropos (9 p.) et Le traicté de la difference des Schismes et des Conciles de l’Eglise et de la preeminence et utilité des Conciles de la sainte Eglise Gallicane (58 p.).
Page de titre : signature mõtaigne 1. Sans doute issus de l’exemplaire avant reliure, deux ex-libris du XVIe siècle ont été découpés et collés sur le premier contreplat, tous deux au nom d’un certain Morin de Valence : 1) Emptus a me Ioanne Morino pretio iusto et sine dolo – 2) Morinus Valentinat[us] dioces[is] Valenti[a]e …
Etienne Charavay, dans son Inventaire des autographes et des documents historiques composant la collection de M. Benjamin Fillon (Paris-Londres, Charavay-Naylor, 1878, p. 61), signale la présence de la signature autographe de Montaigne au bas de la page de titre de cet exemplaire et il joint à cette note une reproduction de ladite signature, obtenue sans doute à l’aide d’un calque. Il ajoute qu’avant de rejoindre la collection Fillon, l’exemplaire a appartenu à Jean Louis Antoine Coste.
On trouve en effet, au n° 1313 du Catalogue des livres rares et précieux de la bibliothèque de feu M. J. L. A. Coste, conseiller à la cour royale de Lyon ; dont la vente aura lieu le lundi 17 avril 1854 et jours suivants, à 7 heures précises du soir, rue des Bons-Enfants, 28, maison Silvestre […], Me Bonnefons de Lavialle, commissaire priseur (Paris, L. Potier, P. Jannet, Lyon, A. Brun, 1854 ; Paris, Typogr. de F. Didot frères ; XII, 24, 386 p.) la mention d’un exemplaire qui pourrait être celui de Fillon, mais pour lequel n’est signalée aucune signature de Montaigne. Est-ce bien le même ?
Paul Bonnefon, qui a lu Charavay, écrit dans « La bibliothèque de Montaigne » (Revue d’histoire littéraire de la France, 1895/2, p. 370) : « En dépit de mes investigations, je n’ai pas pu apprendre ce qu’est devenu le volume en question. J’ajoute que je crois la note fort mal renseignée et qu’elle est inexacte sur un point : l’exemplaire de Lemaire de Belges ayant fait partie de la bibliothèque de Coste (n° 1313) n’y est pas indiqué comme portant la signature de Montaigne. » Le doute porte-t-il sur l’identité de l’exemplaire, sur l’exactitude de la note, sur la présence ou l’authenticité de la signature ?
Ni Villey ni ses successeurs ne mentionnant Lemaire de Belges parmi les auteurs présents dans la « librairie » de Montaigne, il faut attendre les publications que lui consacrent Gilbert de Botton et Francis Pottiée-Sperry (« À la recherche de la ‘librairie’ de Montaigne », Bulletin du Bibliophile, n° 2, 1997, p. 267, 276), puis Barbara Pistilli et Marco Sgattoni (La Biblioteca di Montaigne, Pisa, 2014, p. 36-38) pour voir de nouveau apparaître ce nom dans des ouvrages consacrés à Montaigne. Les premiers écartent de leur liste le volume de l’Illustration des Gaules (sic) parce qu’il est « douteux pour Bonnefon » (ce qui n’est pas exact) et absent de la liste Villey. Toujours à partir d’une lecture approximative de Bonnefon, ils vont plus loin encore en déclarant que ce même volume, intitulé cette fois Illustrations des Gaules et singularitez de Troyes [sic], a « fait partie de la bibliothèque de Coste et de la collection Benjamin Fillon », mais qu’il a été « annoncé à tort comme portant la signature de Montaigne ».
« Déduction discutable » aux yeux de Pistilli et Sgattoni, qui trouvent l’indication contraire dans le Répertoire méthodique de la librairie Morgand et Fatout (Paris, 1878, p. 294-295), où le n° 2385 concerne Les Illustrations…, « in-4 [sic], titre encadré, basane [sic] », avec cette précision : « au bas du titre se trouve la signature autographe de Montaigne ». Il ne leur a pas échappé non plus que l’année suivante le Bulletin de la Société historique et archéologique du Périgord (tome VI, 1879, p. 450-451) reproduit intégralement la note de Charavay pour cet ouvrage de la vente Fillon. Ils ne méconnaissent pas non plus la page où Jean Stecher, éditeur des Œuvres de Jean Lemaire de Belges (Louvain, 1882-1885) rapporte qu’Émile Picot lui a signalé la présence de la signature autographe de Montaigne sur l’exemplaire de Fillon (voir aussi, du même, Jean Lemaire de Belges, Louvain, 1891, p. 98). Plus prudents, donc, que leurs devanciers, ils n’en suggèrent pas moins que l’exemplaire a pu être gratifié d’une signature contrefaite entre la vente Coste (1854) et la vente Fillon (1878). On pense bien entendu à Vrain-Lucas, mais Charavay l’expert n’aurait pas manqué de déceler le subterfuge, comme il l’a fait pour bien d’autres pièces du célèbre faussaire, dont les « ex-libris Montaigne » sont d’ailleurs d’une tout autre facture et désinvolture que la signature examinée.
Le point commun de tous ces bibliographes, Charavay excepté, c’est précisément de n’avoir pas pu examiner un document dont ils ignoraient la localisation, du moins depuis la vente Fillon. C’est en travaillant sur place que Pierre Aquilon a pu constater, vers 1970-80, la présence de la signature de Montaigne sur l’exemplaire conservé dans les fonds anciens de la Bibliothèque municipale de Fontenay-le-Comte (aujourd’hui Médiathèque Jim Dandurand), en Vendée. C’est à partir de ses notes manuscrites, aimablement communiquées, et avec l’aide de la directrice de la Médiathèque (Mme Dupuy-Garric), que Marie-Luce Demonet et moi-même avons pu étudier et photographier ce volume où ne se trouvent en marge que deux notes manuscrites manifestement postérieures au XVIe siècle. La comparaison minutieuse avec la centaine de titres signés dont on peut aujourd’hui examiner les fac-similés numériques ici même nous amène à certifier, à la suite de Charavay et peut-être de Picot, l’authenticité de cette remarquable signature de type mõtaigne 1 et cela malgré la personnalité controversée de l’ancien possesseur, Benjamin Fillon, ce zélé serviteur du patrimoine vendéen.
À moins qu’une très souhaitable analyse chimique de l’encre (et pourquoi pas ? celle de l’empreinte digitale inscrite dans la tache au-dessous, si elle n’est pas celle de Montaigne lui-même !) ne vienne contredire cette expertise graphique, on peut maintenant se passer de l’hésitation qui a pu conduire les responsables de cette intéressante pièce à omettre d’abord de signaler la présence de la signature problématique dans le catalogue de l’exposition François Rabelais. Bon gaultier et bon compagnon qui demeuroit en Poictou, 1594 [sic]-1994, Fontenay-le-Comte, Musée Vendéen, 1994, p. 19 (mais la notice 17 substitue 1541 à 1549 comme date d’édition), puis à signaler au tome VIII du Patrimoine des bibliothèques de France, 1995, p. 72-75, que l’exemplaire « provient, peut-être, de la bibliothèque de Montaigne ». La signature qui permettrait d’en juger n’apparaît malheureusement sur aucune des illustrations de ces articles, toutes deux tronquées. Au risque de paraître péremptoires ou naïfs, cette conjecture vraisemblable peut désormais se muer, selon nous, en quasi-certitude.
— Fontenay-le-Comte, Médiathèque Jim Dandurand : 4000.
M.L Demonet et A. Legros
20 septembre 2016