[Opera], Venise, A. Manuzio et A. Torresanus, 1517
Localisation : Bibliothèque universitaire de Bordeaux-Montaigne : 44 289 Rés. 34
Introduction (A. Legros, 10/07/2013)
Notice (A. Legros, 2014)
Fac-similé
Édition (A. Legros, 2013)
Introduction
Ausone, en latin Decimus Magnus Ausonius, est en quelque sorte le saint patron profane de la ville de Bordeaux, sa figure tutélaire, avec les vestiges du Palais Gallien son gage de bonne antiquité. Pour entrer au collège de Guyenne, auquel Pierre Eyquem confia la seconde éducation de son fils, on passait sous un linteau gravé (conservé au Musée d’Aquitaine) qui faisait du poète et savant Bordelais du IVe siècle le modèle humaniste de tout élève inscrit dans l’établissement. Elie Vinet, qui en fut longtemps le principal, en fera un jour l’édition commentée. Sans doute Montaigne l’acquérera-t-il alors, vers 1580. Ce qui est sûr, c’est qu’il possédait au moins deux exemplaires des œuvres d’Ausone, toutes deux signées de sa main au bas de la page de titre : l’un d’une édition de Jean de Tournes (Lyon, 1558), l’autre, d’une édition aldine (Venise, 1517).
C’est sur ce dernier ouvrage, conservé à la Bibliothèque universitaire de Bordeaux 3-Pessac (44 289 Rés. 34), qu’il a laissé quatre menues traces de sa lecture, dont deux en grec. La première se trouve en marge des Epigrammata, recueil dont l’auteur des Essais cite quatre vers (II, 37). Deux autres concernent des formules concises, en grec, qu’Ausone intègre à ses propres vers latins : formules fameuses des plus ou moins mythiques « Sept Sages », qu’on donnait sans doute à apprendre et ruminer, via Ausone, aux élèves du Collège de Guyenne : mèden agan (« rien de trop », Chilôn), hoi pleistoi kakoi (« la plupart sont méchants », Bias), ariston metron (« le meilleur au milieu », Cléobule). Ces trois « dits » se retrouvent dans les Essais, et le dernier lui-même sous la plume même de Montaigne en marge de l’Exemplaire de Bordeaux. C’est dire la prégnance de cet enseignement éthique (et politique) de base sur les jeunes esprits. Avant même la rencontre des formules pyrrhoniennes de Sextus ou des sentences glanées dans Stobée, celles des Sept Sages d’Ausone auront marqué durablement celui de Montaigne comme de beaucoup de ses contemporains. Juste Lipse le comparera un jour à Thalès, premier des Sept Sages dans les listes en usage. De quoi fonder une vocation philosophique…
La dernière des annotations montre enfin que le jeune homme a lu aussi les lettres d’Ausone publiées en fin de volume, puisqu’il en extraie le titre d’une comédie du rhéteur Axius Paulus, collègue bordelais du poète : « ton Extravagant est une pièce grave sur un argument léger ». Cela en regard de vers où Ausone déclare que l’Heautontimoroumenos de Térence est une pièce sérieuse d’apparence badine — et il félicite l’esclave Dromo d’avoir su rendre visite à Antiphila « au bon moment », car « l’opportunité est le premier de tous les biens ». L’exemple illustre en ce lieu un mot de Pittacos, un autre des Sept Sages : gignôské kairon (« apprends à saisir le moment opportun »), mot qu’on retrouve, avec variante, sur le Térence annoté par Montaigne en 1553. Dans les marges de ce dernier, deux renvois à « Auzon. » (indication phonétique), révèlent un va-et-vient du jeune lecteur-annotateur entre ces deux ouvrages. L’un d’eux est précisément ce mèden agan corrigé par Montaigne sur son Ausone : heureux hasard qui permet de comparer le tracé des lettres grecques dans les deux notes… Puis de poursuivre cette enquête sur la main grecque de Montaigne à l’aide des mots grecs autographes du Giraldi et du Lucrèce, sans oublier le plus tardif Exemplaire de Bordeaux.
On pourra lire, pour plus d’informations, A. Legros, « La main grecque de Montaigne », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, tome 61, 1999 (2), p. 461-478 ; id., « Le Giraldus de Montaigne et autres livres annotés de sa main », Journal de la Renaissance, vol. I, 2000, p. 13-88 ; id., Montaigne manuscrit, Paris, Editions Classiques Garnier, 2010, p. 209-214, id. « Ausone », « Devise de M. » et « Sept Sages » dans le Dictionnaire de Michel de Montaigne, dir. Ph. Desan, Paris, H. Champion, 2007.