Localisation : Bibliothèque nationale de France (Manuscrits), Archives de Bordeaux-Métropole

Introduction (A. Legros, 23/04/2019)
Photographies

Introduction

Recueillie sous reliure par un collectionneur avec deux autres manuscrits (une lettre de Montaigne et une de Juste Lipse), une quittance conservée à la Bibliothèque nationale de France (Manuscrits, NAF 1068) indique que La Boétie a siégé à la Chambre de la Tournelle, où l’on jugeait les affaires criminelles, durant tout ou partie de l’année parlementaire 1554-1555. Je propose cette transcription :

« Je Estienne de la boetie Conseiller du Roy nostre sire en sa court de Parlement de Bourdeaulx Confesse auoir Receu comptant de maistre Robert petit receueur et payeur des gaiges et droictz des presidens conseillers et autres officiers de ladite court La somme de vingt livres parisis A moy ordonnee pour mes gaiges dauoir vacque en la tournelle au jugement et decision des proces criminelz durant demye annee paye le septiesme du present mois de Januier de laquelle somme de XX Liures je me tiens contant et bien paye Et en ay quitte et quitte ledit petit receueur susdit et tous autres Tesmoing mon seing manuel cy mis le dernier jour de Janvier Lan mil cinq cens cinquante cinq.
Pour servir de quictance de la somme de vingt livres parisis pour demie annee de  la tournelle/ E De la Boetie.
Janu. 1555 »

i.e.

« Je, Étienne de la Boétie, conseiller du Roi notre Sire en sa cour de Parlement de Bordeaux, confesse [reconnais] avoir reçu comptant de maître Robert Petit, receveur et payeur des gages et droits des présidents, conseillers et autres officiers de ladite cour, la somme de vingt livres parisis, à moi ordonnée pour mes gages d’avoir vaqué en la Tournelle au jugement et décision des procès criminels durant demie année, payé[e] le septième du présent mois de janvier, de laquelle somme de vingt livres je me tiens content et bien payé, et en ai quitté [acquitté] et quitte ledit Petit, receveur susdit, et tous autres, témoin mon seing manuel cy [ici] mis le dernier jour de janvier l’an mille cinq cent cinquante-cinq.
Pour servir de quittance de la somme de vingt livres parisis pour demie année de la Tournelle / E. de la Boétie.
Janvier 1555 »

La durée de cette vacation et la date de paiement posent cependant problème. Au lieu de payer les gages par trimestre, le dénommé Petit a-t-il additionné ici deux trimestres, et si oui, pourquoi ? Ou bien a-t-il rémunéré une demie vacation, comme on avait commencé à le faire au « parlement semestre » de Paris (voir la satire de La Boétie à ce sujet dans les Poemata ? »). Et la date ?  En un temps où s’applique encore l’ancien style (et cela, jusqu’en 1563), l’année commence à Pâques, et par conséquent le mois de janvier 1555 correspond à « notre » mois de janvier 1556 (nouveau style), mais il faut ici s’en tenir à l’ancien style si l’on veut recouper les données chiffrées de ce document original avec celles qu’on peut trouver dans les « Registres Secrets du Parlement de Bordeaux », ou plutôt avec la copie qui en a été établie en 1770 par François Martial de Verthamon d’Ambloy (Archives de Bordeaux-Métropole), et plus précisément encore avec le « Registre  commençant le 12 novembre 1552 et finissant le 27 février 1555 » (tome 6, ms 763).

Comme à chaque début d’année parlementaire, la rentrée de novembre, qui a lieu le lundi suivant la Saint-Martin, distribue les vacations des conseillers pour l’année à venir. Celle qui commence en novembre 1554 court jusqu’à la prochaine rentrée. Comme l’indique le Registre pour cette année 1554-1555, p. 398 et 399 (novembre 1554), « Etienne de la Boytie » est affecté à la Tournelle, ainsi que son ami « Jehan de Belot », co-destinataire avec Montaigne d’une pièce en vers latins du Sarladais. Le 17 mai précédent, il avait été examiné sur sa « suffisance », puis il avait prêté serment. Les conseillers siégeant à la Tournelle par roulement, il ne s’agissait là que d’une affectation provisoire. En janvier 1555, date du paiement et de la quittance, La Boétie n’est plus  à la Tournelle, mais à la Première Chambre des Enquêtes, comme indiqué dans ce même Registre, p. 790. Les honoraires perçus concernent donc non pas l’année parlementaire en cours, commencée en novembre 1555, mais l’année précédente, de novembre 1554 à octobre 1555.

Mais que faisaient au juste les conseillers de la Tournelle ? Le Registre examiné suffit à nous informer, qui consacre plusieurs pages à cette « chambre criminelle » :  ils décidaient s’il fallait ou non condamner à mort un prévenu, s’il fallait ou non recevoir ses aveux sous la torture ou « genne » (géhenne), s’il fallait appliquer celle-ci modérément ou « de rigore Juris », conduisant eux-mêmes la séance. Ils punissaient de mort les avortements, condamnaient les hérétiques au feu, les voleurs au fouet, perquisitionnaient chez les libraires, surveillaient les prédications, établissaient la liste (le « rolle ») des galériens… Voilà ce que devait faire, à peine reçu  conseiller, le jeune Étienne de La Boétie. Montaigne, lui aussi, quelques années plus tard, sera de la partie (voir « Montaigne dans les Registres secrets du Parlement de Bordeaux »). Dans les Essais, il dira qu’en cette occasion il a préféré « manquer à la justice » plutôt que de commettre un meurtre en condamnant quelqu’un à mort.. Qu’entendait-il par là ? La Boétie a-t-il lui aussi, durant un semestre ou plus, « manqué à la justice » ? Et la question se pose pour tous leurs collègues et amis ou parents, les Alesme, Belot, Malvyn, Lestonnac, La Chassaigne, Eymar, Eyquem de Montaigne (Raymond)…

Alain Legros
24 avril 2019

Photographies

Quittance signée par La Boétie le 31/01/1555 – Paris, BNF, Photo AL-BVH

Registres Secrets du Parlement de Bordeaux, copie Verthamon, tome 6, p. 398 – Bordeaux, Archives de Bordeaux-Métropole – Photo AL-BVH

Registres Secrets du Parlement de Bordeaux, copie Verthamon, tome 6, p. 399 – Bordeaux, Archives de Bordeaux-Métropole – Photo AL-BVH