Introduction (M. Duboc & A. Legros, 01/06/2015)
Photographies d’une cinquantaine de signes
Introduction
Les premiers « guidons » (signes d’insertion) tracés par Montaigne sur l’Exemplaire de Bordeaux (EB) pour introduire une addition manuscrite ressemblent à des I aux empattements prolongés : à un I d’appel qui marque l’endroit où se fera l’insertion dans le texte imprimé correspond dans la marge un I de renvoi suivi de l’addition à prévoir pour l’édition suivante. Il est possible de trouver plusieurs additions signalées par ce signe en une même page quand la distance entre elles est assez grande pour ne pas prêter à confusion. Dans ce cas, le signe d’appel est généralement placé au niveau du signe de renvoi. Dans le cas contraire, un signe dérivé du premier, par simple adjonction d’une barre transversale et parallèle aux autres, parfois postérieure au tracé du signe ainsi barré, permet de distinguer une nouvelle addition de la précédente. Certains ajouts peuvent être contemporains des corrections effectuées à la plume dans le texte (ponctuation, substitution de majuscules à des minuscules ou l’inverse, remplacement systématique de certains mots, ajouts brefs et ponctuels, biffures, consignes de disposition pour les citations en vers ou en prose, palinodies). À ce stade, les interventions à la plume étant destinées à l’imprimeur, comme indiqué par l’auteur sur une page de garde, il importait d’être le plus clair possible.
Les additions se sont par la suite multipliées, transformant EB en véritable exemplaire de travail, dont le texte renouvelé réclamait une mise au net avant d’être confiée à l’imprimeur. Leur prolifération a rendu peu à peu plus complexe le système de signalisation, au point qu’à terme on dénombre une cinquantaine de guidons (Vers les photos). La plupart s’apparentent au I primordial par adjonction de fûts verticaux, avec ou sans empattement, de barres horizontales ou d’autres particularités d’apparence plus fantaisiste. On trouve aussi des lettres (A, B, R, a, q avec point central ou barre transversale, diverses formes de f), des chiffres (2, 3, 4, 8, sans valeur chronologique probante), des croix (+ et x), des traits parallèles (= et //), des chevrons (^), par exception un simple trait vertical (|). Certains de ces signes sont doublés ou triplés. Tous étaient dupliqués selon le principe appel/renvoi expliqué ci-dessus, mais le couteau du relieur a fait disparaître plusieurs d’entre eux. Souvent le sens ou la disposition permet alors d’insérer l’addition sans difficulté, mais il faut parfois recourir au texte posthume de l’édition de 1595 pour rétablir une continuité, surtout quand toutes les marges d’une page sont saturées d’additions et que l’auteur a été obligé d’utiliser les pages voisines pour en prolonger une déjà en place ou y greffer une nouvelle extension.
L’inventaire de ces signes montre que Montaigne se conforme en partie aux usages des lettrés de son temps, mais que la singularité de son projet et la complexité croissante de son texte l’ont obligé à l’inventivité autant que de besoin, sans établir un système de signalisation valable pour l’ensemble du document. Il permettra d’établir, sinon pour l’ensemble d’EB, du moins pour certaines pages, une chronologie relative des opérations, qu’on pourra mettre en relation avec l’étude des graphismes et des encres, ainsi qu’avec la disposition relative des additions dans l’espace. Une demi-douzaine de ces signes d’insertion rencontrés sur EB se retrouvent dans les notes de lecture de Montaigne, à l’exception toutefois du I et de ses dérivés, manifestement réservés à l’allongement du texte d’auteur.
Photographies d’une cinquantaine de signes
Crédits : The Montaigne Project
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