27. Lettre au maréchal de Matignon, d’Orléans, 16 février 1588

Depuis Payen, bien que la main de Montaigne distingue bien le u et le n, on lit à tort (je souligne) « le ligueu » pour « le lignou ». Autre erreur, toujours reprise elle aussi : « mr de la rochefocaud » (personne) pour « est de la rochefocaud » (lieu). Montaigne aurait ainsi été arrêté et dévalisé par un ligueur, alors que le capitaine Lignou, agresseur du catholique Barraut, mais non du protestant la Rochefoucauld, oeuvrait à sa manière — celle d’un bandit de grand chemin — pour le parti huguenot, dont « monsieur le Prince », Condé, était alors le chef. L’année suivante, on retrouvera ledit Lignou, non plus à l’orée de la forêt de Villebois, au sud-est d’Angoulême, mais au coeur de celle de Loches, en Touraine, où il pille la chartreuse du Liget et malmène les moines (Les Inhumanitez et Sacrileges du Capitaine Lignou, Paris, 1589. BnF : 8 –LB34-719, texte en ligne sur Gallica). Comme Condé avait fait partie des gens de la cour de Navarre reçus par Montaigne le 19 décembre 1584 (voir la note du Beuther à cette date sur le site des BVH) et qu’il savait bien le rôle joué par Montaigne dans les négociations entre les deux partis, on comprend qu’il ait pu juger la prise « injuste » et qu’il ait fait libérer le gentilhomme. L’erreur était d’autant plus grande que Thorigny, dévalisé lui aussi, était le fils de Matignon, principal médiateur entre les deux Henri. Il se rendait en Normandie, berceau de sa famille, pour un héritage. Quant aux deux frères dont Thorigny va saluer les corps à Montrésor, en Touraine, il s’agit d’Anne de Joyeuse, le favori d’Henri III, chef de l’armée catholique, et de son frère, défaits par Henri de Navarre à Coutras (et juste après cette bataille, le vainqueur a dormi à Montaigne…). L’anecdote qui le concerne n’empêche pas Montaigne de poursuivre son travail d’informateur auprès de Matignon sur ce qu’il peut savoir des grands du royaume : l’invitation faite par Henri III à Henri de Guise (« semondre », à distinguer de « semoncer », c’est inviter avec insistance, mais aussi, pour un suzerain à l’égard d’un vassal, le convoquer). En avril, craignant un complot, le roi enverra de nouveau le surintendant des finances Bellièvre auprès du duc, mais pour lui interdire, cette fois, de venir à Paris. Le 12 mai de la même année aura lieu la journée des Barricades. Le Beuther et les Essais disent chacun à sa façon l’ascendant que Guise, « à la vérité l’un des premiers hommes de son âge » (p. 374), exerçait sur Montaigne. Une note du Beuther dit comment le duc a oeuvré pour faire sortir Montaigne de la Bastille alors même qu’il avait « mis hors » (p. 201) de Paris le roi en personne.

Pièce originale conservée à Paris, Bibliothèque nationale de France (site Richelieu), Manuscrits, NAF 1068, f° 1 r° (texte) et v° (texte et mentions de l’expéditeur). Avec cette pièce réputée à tort comme perdue sont associées sous une même reliure une lettre autographe de Juste Lipse et une quittance signée par La Boétie. Le prétendu fac-similé de la collection Payen (NAF 1466, f° 245, Mme Boni de Castellane) reproduit en plus petit les lignes de la seconde page (verso) au bas de la première (recto) pour tout placer sur une seule page.

A. Legros

Addendum 2024 : comme je l’avais signalé dans Montaigne manuscrit (Classiques Garnier, 2010, p. 715), une lettre envoyée à Lucinge (éd. Supple, p. 88) confirme que l’agresseur de Thorigy (donc aussi de Montaigne) était huguenot, et non pas ligueur.

Fac-similé en ligne (Gallica).

Original recto, BNF, Département des manuscrits, NAF 1068, f.1.

Original, BNF, Département des manuscrits, NAF 1068, f.1r.

Original, BNF, Département des manuscrits, NAF 1068, f.1v.

Original, BNF, Département des manuscrits, NAF 1068, f.1v.

Édition intégrale par Alain Legros

  1. Version diplomatique (Lettres réunies en un seul fichier, avec distinction des mains)
  2. Version régularisée (Lettres réunies en un seul fichier, avec distinction des mains)
  3. Version modernisée (Lettres réunies en un seul fichier, avec distinction des mains)

Édition XML-TEI sur la base Epistemon

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