Annales et Croniques de France, depuis la destruction de Troye…, corrigées et complétées par Denis Sauvage, Paris, Guillaume le Noir, 1562
Localisation : Bibliothèque nationale de France : Rés Z Don 96 (1)
Introduction (A. Legros, 03/07/2013)
Notice (A. Legros, 2013)
Fac-similé
Édition (A. Legros, 2013)
Introduction
La signature de Montaigne se lit encore au bas de la page de titre d’un exemplaire des Annales et croniques de France de Nicole Gilles (Paris, G. Le Noir, 1562) conservé à la Bibliothèque nationale de France sous la cote Rés. Fol-Z Don-96 (1). La reliure en vélin a été restaurée, avec, au dos, le titre longitudinal à la plume en petites capitales. Les annotations n’ont pas été rognées. Incomplet des derniers feuillets, l’exemplaire contient deux « volumes » à foliotation distincte. Le fac-similé numérique couleur de cet ouvrage est désormais en ligne sur Gallica : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8626073v
Le volume ne contient pas moins de 165 notes marginales de la main de Montaigne, parfois longues, souvent réactives (« je rêve », « accordez ses flûtes », « oui bien »), très souvent critiques à l’égard de l’auteur ou de l’éditeur Denis Sauvage — lequel a prolongé jusqu’au règne de Charles IX cette histoire de France qu’illustrent les effigies convenues des rois successifs et que scandent d’utiles tableaux généalogiques en pleine page. Faute d’achevé de lire en l’état, on ne peut savoir exactement quand Montaigne a rédigé ces notes, mais l’orthographe réformée et quelque peu phonétique (« roë », « ste », « coume ») à laquelle, comme pour les notes françaises du Beuther antérieures à 1572, il s’exerce dans le sillage possible d’un Meigret ou d’un Peletier, laisse penser que c’était à la fin des années 1560 ou au tout début de la décennie suivante.
À cette époque, héritier de la seigneurie de Montaigne après le décès de son père, il n’est pas exclu qu’il ait eu des ambitions politiques régionales et même nationales. Toujours est-il qu’on le voit ici, en vrai gentilhomme, attentif à suivre ou à retracer des généalogies (par exemple celle de Bretagne), à préciser le rôle d’une institution ou d’un office (parlement, maître des requêtes), à donner un avis motivé sur l’actualité récente (projets de réforme judiciaire, états généraux d’Orléans), tout en s’adonnant à la critique historique, à l’aide de divers auteurs auxquels il a manifestement accès au moment où il écrit : Gaguin, Froissart, Commynes, Paul Emile, Du Tillet, Le Ferron, (trois historiens sans doute consultés en même temps dans une édition commune de Vascosan : https://books.google.fr/books?id=4AdZAAAAcAAJ&hl=fr) Sleidan, les Grandes Annales, les Annales de Foix et les Annales de Bretagne, parmi d’autres (« les autres », dit-il souvent pour marquer les différences avec « ces Chroniques »). Le livre qu’il annote, et non sans humeur, il en déconseille à plusieurs reprises la lecture à d’hypothétique lecteurs à venir (« vide », « voyez ») en raison des nombreuses erreurs et incohérences qu’il contient et dont il rend responsables à la fois l’auteur, l’éditeur ou « glossateur » et l’imprimeur.
À lire ses notes, on comprend, pourquoi ses amis ont pu conseiller à Montaigne d’écrire l’histoire de son temps. Minutieux, laborieux même (autant que dans les notes latines du Lucrèce), il croise ses sources pour mieux assurer son jugement, il se corrige lui-même à l’occasion et il sait douter quand il le faut. C’est peut-être ainsi, en jugeant les récits des autres (il s’en déclare lui-même incapable) qu’il s’est découvert quelque peu « philosophe ». Aussi bien, lire un livre avant ses amis, n’est-ce pas en faire l’« essai » et lui servir, pour ce test, d’officier de bouche ? Quant à nous, ses lecteurs actuels d’un texte fragmentaire qui ne nous était pas destiné, nous trouvons là des noms d’auteurs et de livres à ajouter à sa bibliothèque. L’édition numérique selon trois modes (diplomatique, régularisé, modernisé) devrait permettre aux linguistes et aux curieux de mieux appréhender l’évolution de Montaigne quant à sa pratique du français écrit.
On voudra bien, pour élucider d’éventuelles allusions de l’annotateur, se reporter à A. Legros, Montaigne manuscrit, Paris, Classiques Garnier, 2010, p. 423-487, avec une bibliographie dont le premier titre est celui des toutes premières transcriptions (modernisées et parfois différentes de celles-ci) que Reinhold Dezeimeris a effectuées en 1909-1914 pour la Revue d’Histoire Littéraire de la France, assorties de précieux commentaires érudits. Voir aussi A. Legros, « Montaigne, annotateur des Annales de Nicole Gilles : pour qui écrivez-vous ? », Annotations manuscrites dans les livres de la Renaissance, éd. O. Millet, Bulletin du bibliophile, 2010/2, p. 273-282.
Alain Legros