Les Vies des hommes illustres…, trad. J. Amyot, 2e éd., Paris, Vascosan, 1565
Localisation : collection privée
Introduction (A. Legros, 2020)
Notice (A. Legros, 2020)
Sélection d’images (clichés : A. Legros, J.-L. Boisseau, 2020)
Édition (A. Legros, 2020)
Introduction
Plutarque (Ier-IIe siècle) est avec Sénèque l’auteur ancien dont Montaigne se recommande le plus, du moins « depuis qu’il est français », donc depuis que Jacques Amyot a traduit du grec ses deux principaux ouvrages, publiés l’un et l’autre à Paris en format in-folio par l’imprimeur et libraire Michel de Vascosan : les Vies des homme illustres comparées ou Vies parallèles (Bioi parallèloi) en 1559, 1565 (édition revue et corrigée) et 1567 (idem), puis les Œuvres morales et mêlées (Ethica, ou Moralia) en 1572.
Au début d’un chapitre des Essais où l’auteur en fait l’éloge et qui tient de lui son titre (II, 4, « À demain les affaires »), le traducteur est lui aussi élevé au tout premier rang : « Je donne avec raison, ce me semble, la palme à Jacques Amiot, sur tous nos écrivains français, pour la naïveté et pureté du langage, en quoi il surpasse tous autres, pour la constance d’un si long travail, pour la profondeur de son savoir, ayant pu développer si heureusement un auteur si épineux et ferré… ». Lorsqu’il consacre un chapitre à la « Défense de Sénèque et de Plutarque » (Essais, II, 32), Montaigne associe, comme l’auteur des Vies, un Romain et un Grec. Maintes fois dans son livre il reconnaît l’influence de Plutarque, surtout pour les Moralia, jusqu’à le paraphraser longuement sans le nommer à la fin de l’« Apologie de Raymond Sebond ».
Le livre de Plutarque ayant appartenu à Montaigne qui vient d’être découvert en 2020 dans une collection privée est un exemplaire des Vies de 1565 (donc 2e édition). Les cinq annotations marginales qu’on y trouve témoignent du même esprit critique dont il fait preuve dans les marges des Annales de Nicole Gilles. Montaigne est un lecteur exigeant, soucieux de cohérence, et aussi d’exactitude quand l’auteur qu’il lit relate des faits.
- Le renvoi chiffré du f° 267 à « 271/ » (soit 271v) concerne ainsi deux versions différentes d’un palmarès des grands capitaines par Hannibal (l’auteur des Essais a ce goût des palmarès : « excellents hommes », meilleurs poètes, « trois bonnes femmes », etc.). Au f° 267 E (T. Quintius Flaminius), il est écrit « que Hannibal donna et prononça sa sentence, que Alexandre le Grand avait été le plus grand et le plus excellent de tous les autres, Pyrrhus le second, et lui le troisième, et que adonc Scipion en se souriant tout doucement lui demanda : « Et que dirais-tu donc si je ne t’eusse point vaincu ? » — « Je me mettrais, répondit Hannibal, non point au troisième lieu, mais au premier » ».
- De fait au f° 271v G (Pyrrus [sic]), le palmarès est autre, car Pyrrhus vient en tête : « Hannibal le prononça le premier de tous universellement en expérience et suffisance au métier de la guerre, Scipion le second et soi le troisième, ainsi que nous avons écrit en la vie de Scipion ». Montaigne constate la différence, signalant ainsi l’incohérence de Plutarque sur ce point : « Ce jugement d’Hannibal est autrement récité [au f°] 267. »
- Au f° 459 D (Pompeius), le texte imprimé signale que « Le premier de l’armée de César qui se prit à courir pour charger fut Caius Crassianus, capitaine de cent vingt et cinq hommes ». Dans la marge, Montaigne allègue César (La Guerre civile, III) et Lucain (La Pharsale, VII), deux auteurs qu’il appréciait aussi beaucoup, pour corriger le nom de ce capitaine qui a pris les devants et fait le sacrifice de sa personne (devotio rituelle d’un chef de guerre acculé à la défaite), ce que César approuve et que Lucain désapprouve vivement. Montaigne se contente de remarquer la disparité en inversant l’ordre de la phrase : « Crastinus l’appellent Cæsar [et] Lucanus ». Il y avait sans doute une esperluette (&) entre les noms des deux auteurs. L’annotation serait dans ce cas antérieure à la reliure, même si la partie rognée par le relieur est infime. Dans le César de 1570 que Montaigne a annoté copieusement, il opte lui-même pour Crastinus, et non Cassinius, dans la marge de la page 323 (La Guerre civile, III, 91) : « Paroles de Crastinus commençant la mêlée », autrement dit la bataille décisive de Pharsale, grande victoire de César sur Pompée en 48 av. J.-C.
- Au f° 606v H (Cicero), alors que Plutarque attribue deux gendres à l’orateur, Lentulus et Pison, la note de Montaigne, se référant à Cicéron en personne, en compte trois : « Cicéron dit lui-même qu’il a eu trois gendres, Pison, Crassipes et Dolabella » (ces deux derniers d’après les lettres Ad familiares, I, 7 et II, 16).
- Au f° 608v K (Cicero), Plutarque écrit que Cicéron est mort assassiné dans sa litière « estant aagé de soixante & quattre ans » (dernière ligne). Dans la marge, Montaigne allègue deux historiens latins en désaccord avec Plutarque : « Tite Live et Aufidius Bassus disent 63 [ans] ». Il a trouvé leurs deux récits sur la mort de l’orateur dans la Suasoria VI de Sénèque le Rhéteur (père du philosophe), grâce à qui ces deux textes perdus ont été partiellement sauvegardés. Selon Pierre Villey, Montaigne possédait l’édition bâloise de 1557 où les œuvres de Sénèque l’Ancien suivaient celles de son fils.
On ne saurait dire si Montaigne disposait ou non d’un autre exemplaire des Vies de Plutarque (par exemple de la première édition de 1559), qu’il aurait plus copieusement annoté. Ce n’est toutefois pas parce qu’il a, comme il dit, « barbouillé de [s]es notes » un ouvrage que ses Essais s’en inspirent. C’est le cas pour Lucrèce et Térence, mais non pour Nicole Gilles, par exemple, et s’il écrit à la fin de son Pétrarque qu’il l’a maintes fois relu (« assai volte riletto »), il n’y a effectué aucune note marginale.
Alain Legros
Publié le : 15 septembre 2020
Mis à jour le : 14 octobre 2020
Sélection d’images du Plutarque
Localisation : collection privée (reproduction autorisée)
Mise en ligne : 15/09/2020