Contrat pour la reconstruction du phare de Cordouan

Introduction (A. Legros, 03/06/2015)
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Introduction

Les Archives départementales de la Gironde conservent, sous la cote 3 J C 100, le contrat pour la reconstruction du phare ou « tour » de Cordouan passé le 2 mars 1584, à l’instigation de Henri III (1582), entre le maréchal de Matignon, gouverneur de Guyenne, François de Nesmond, président au parlement de Bordeaux, Ogier de Gourgues, trésorier général de France et Michel de Montaigne, maire de Bordeaux, d’une part, l’ingénieur et valet de chambre du roi Louis de Foix, d’autre part. Tous ont signé le contrat au domicile bordelais de Matignon, avec qui Montaigne entretenait à cette époque une correspondance suivie.

Maire depuis trois ans à cette date, Montaigne ne verra pas de son vivant l’achèvement de l’édifice rond à trois étages qui devait remplacer la vieille tour à feu polygonale que les Anglais avaient érigée au XIVe siècle sur un îlot rocheux de la Gironde et dont le délabrement avait été signalé par le maréchal de Biron, prédécesseur de Montaigne. Il faudra attendre 1611 et l’impulsion nouvelle donnée par Henri IV après plusieurs retardements et selon de nouveaux plans, plus ambitieux, de Louis de Foix (mort entre temps), pour que la nouvelle tour se dresse à l’entrée de l’estuaire, comme une huitième merveille du monde à la  gloire du premier des Bourbons. Plusieurs restaurations, extensions et réaménagements allaient suivre, depuis Louis XIV (1665) jusqu’à nos jours (DRAC Aquitaine, 2013-2014).

Le contrat de « redification et construiction de la tour de Cordoan » a été passé devant deux notaires bordelais, Claude Dorléans et Pierre Marraquier, qui signent ès-qualités après Matignon, Nesmond, Gourgues, Montaigne (signature « mõtaigne ») et Louis de Foix (f. 9r). L’acte de dix-sept pages a été rédigé par Dorléans, dont le paraphe suit chacun des trente-cinq « articles » du contrat. Rassemblant les « proclamations », comme annoncé en préambule, les cinq pages suivantes sont des collations faites sur originaux par Marraquier (pouvoir donné aux commissaires), Dorléans (montant de la dépense à prévoir par les trésoriers et son entérinement), Marraquier de nouveau (lettres patentes de ratification du contrat). Deux mains, par conséquent. Chaque fois l’incipit recourt à la formule consacrée, en lettres plus grosses : « Henri par la grâce de Dieu roi de France et de Pologne », dont c’est le « bon plaisir ».

Les différentes étapes de la construction sont décrites avec toute la précision numérique et technique voulue, en termes de charpenterie, de maçonnerie, de marine, d’architecture, puis de comptabilité et de droit : en vrac, « bastardeau », « paulx » (pals ou pieux), « palissade » « pilotis », « ecluse », « mouthon », « etoffes », « guindages » « ligneterre », « pont levis », « ayre », « panc », « plateforme » (pour les canons), « blocage », « voute », « parement », « cheminée », « privées » (i.e. latrines), « fanal », « lanterne », « arcades », « citerne », « loges » (pour les « maîtres charpentiers, maçons, mariniers, manœuvres et journaliers »), « mareaige » (ou marée), « engins », « attelages », « boutils », « consoles », « écus », « deniers », « quittance », « pites », « cede » (ou cédule), « vidimus », « nature », « articles », « formulations », « lettres patentes », « tabellion », « levées », etc.

Rétribué tous les mois, Louis de Foix s’engage à « faire et parfaire » la tour en deux ans. Tous les empêchements qui pourraient lui faire manquer cette échéance sont envisagés : manque de fonds (en dépit de l’imposition prévue), guerre en Guyenne, capture de l’ingénieur avec demande de rançon, épidémie… Il n’en sera pas moins rétribué, de même que le maître maçon Jean de Fontaines qui a fourni les pierres, et les éventuelles détériorations, par la mer, de l’ouvrage encore en chantier seront « récompensées » (i.e. indemnisées) par le roi, car il s’agit là d’une « œuvre royale nécessaire à tout le pays de Guyenne pour le commerce et navigation libre des marchands et marchandises et pour la sûreté des navires et autres vaisseaux de mer entrant dans la rivière de Gironde » (f. 7r). Cela vaut aussi pour les bateaux étrangers. Les héritiers ne sont pas oubliés dans le cas où Foix mourrait. Un expert est prévu, qui s’assurera de la bonne marche des travaux et pour qui l’ingénieur est tenu de fournir, sous deux mois, une maquette en bois qui sera exposée à l’hôtel de ville afin de vérifier que la construction est bien conforme au modèle validé.

Comme il s’agit d’une construction d’initiative royale, un buste de Henri III est prévu au-dessus de l’entrée, en marbre blanc, tout comme la plaque où une inscription « en grand lettre romaine » mentionnera le nom du roi et l’année de l’édification. Il était aussi prévu de placer sur les côtés d’autres plaques de marbre blanc où auraient figuré les noms des commissaires et quelques « beaux carmes » ou poèmes français, mais à la suite du maréchal, ils ont tous, dit une note marginale, refusé cet honneur. Dans une des lettres jointes (ou plutôt sa copie certifiée conforme), le roi dit le plus grand bien de Louis de Foix, « préféré à tout autre » pour avoir, en 1578, mené à bien les travaux du Boucau de Bayonne (canal entre la ville et la mer). Il dit aussi qu’il a choisi les « commissaires à ce députés » et qu’il n’en veut pas d’autre (même pour remplacer Bellièvre absent, dont le nom a été rayé en conséquence…). Parmi eux, « notre a(i)mé et féal le sieur de Montaigne chevalier de notre ordre et maire de ladite ville », qui arrive cependant toujours en dernier dans les listes d’autorités compétentes, selon son rang et sa fonction.

Montaigne n’avait pas attendu 1584 pour se soucier de la lenteur des travaux, comme le montre une lettre de remontrance des maire et jurats au roi Henri III, expédiée de Bordeaux, le 31 août 1583 : « Plaira aussy à Votre Majesté, considerer que ores que les sommes destinées pour la reparation de la tour de Cordoan quelque[lle]s soi[en]t, la plus grande partie dicelles ay[a]nt esté levées et mizes en main de vostre receveur general, ce neantmoins il n’a esté encore aucunement touché à la dicte reparation ny pourveu aux preparatifs d’icelles, comme la necessité le requeroit. Et de tant que l’argent destiné pour cest effect, pourroit estre emploié ailleurs au grand prejudice du public, plaira à Votre Majesté ordonner inhibitions estre faictes aux sieurs trézoriers généraulx et receveurs susdits de ordonner [i.e. disposer] desdites sommes ou icelles emploier ailleurs que a l’effect auquel elles sont destinées : scavoir est, à la dicte reparation pour quelque cause et occasion que ce soit, et que le réglement estably par ces lettres-patentes de Votre Maieste, sur la distribution desdits deniers. Scavoir est qu’elle sera faicte par l’ung des sieurs presidents de la Cour du parlement, ung desdits sieurs trésoriers, et le Maire de ladicte ville ou a son défault ung desdits Jurats, sera gardé et observé selon sa forme et teneur. Et neantmoins, afin que le commerce ne soit retardé et vos droits diminués pourvoir que au plustost il soit proceddé à la dicte reparation sellon les moyens qu’il vous a pleu y establir. » Autrement dit, à l’époque, la tour de Cordouan a moins eu à pâtir des guerres civiles que des détournements de fonds…

La plus ancienne transcription du contrat (et lui seul) publiée est celle d’Alexis de Gourgues (1856). Faite sur l’original et à nouveaux frais, la présente transcription s’en distingue à plus d’un titre, ainsi que des transcriptions postérieures que Gustave Labat et Alain Brieux ont élaborées à partir de celle de Gourgues. Nous nous en aidons cependant pour tenter de restituer les parties de texte perdues en haut des feuillets.

A. Legros
03/06/2015
mise à jour 11/05/2017

La tour de Cordouan, gravure de 1636. Archives départementales de la Gironde,
bibliothèque historique : BIB L 271.

Bibliographie

  • Gourgues (Alexis de), Réflexions sur la vie et le caractère de Montaigne, Bordeaux, Gounouilhou, 1856, p. 46-61.
  • Labat (Gustave), Documents sur le ville de Royan et la tour de Cordouan, Bordeaux, Gounouilhou, 1884-1901, recueils 2 et 3.
  • Brieux (Alain), « Petit trésor de souvenirs de Montaigne », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance 19, 1957/2, p. 279-293.
  • Guillaume (Jean), « Le phare de Cordouan, merveille du monde et monument monarchique », Revue de l’Art, n° 8, 1970, p. 33-52.

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